sandrine57

Lectrice compulsive d'une quarantaine d'années, mère au foyer.

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18 septembre 2013

A l'initiative d'une firme italienne, Philipp Perlmann, linguiste allemand de réputation mondiale, réunit un groupe de confrères pour une série de conférences sur le rapport entre le langage et la mémoire. Le cadre est idyllique : la baie de Gênes, un hôtel de luxe, des températures clémentes. Mais Perlmann va mal. Déstabilisé par le décès accidentel de son épouse, en proie à une crise existentielle, il peine à s'intéresser à son travail et ne réussit plus à écrire. Pourtant, il va lui falloir présenter le fruit de ses réflexions devant ses collègues. Le temps passe, l'échéance approche et Perlmann sombre dans l'inertie et la dépression. Au lieu de s'atteler à la tache, il passe ses journées dans une trattoria à lire une chronique du siècle ou dans sa chambre à traduire le texte d'un confrère russe, bloqué à Saint-Petersbourg sans visa. Il voudrait fuir, ou même se tuer, tout plutôt que d'avouer aux autres que l'éminent Philipp Perlmann est incapable d'écrire. La solution viendra du russe absent : faire passer le texte de Leskov pour le sien, commettre un plagiat dont nul ne saura rien et qui lui permettra de sauver la face.

Bienvenue dans la baie de Gênes, petit paradis terrestre où tout n'est que luxe, calme et volupté. C'est pourtant dans ce lieu propice à la réflexion que Philipp Perlmann va connaitre une terrible descente aux enfers. Tandis que ses confrères s'épanouissent, échangent et jubilent à l'idée de se titiller au sujet de leurs travaux, lui erre comme une âme en peine et élabore de multiples stratégies pour ne pas être pris en défaut par ces spécialistes toujours prêts à se gausser d'une théorie mal étayée. Enferré dans sa traduction russe, langue qu'il ne maîtrise pas suffisamment à son goût, ses réflexions le ramènent vers son passé, récent avec la mort de sa femme, et plus lointain avec sa carrière de pianiste avortée. Outre la description plutôt cynique de ces universitaires imbus d'eux-mêmes, c'est surtout la chute de Perlmann qui a perdu la foi, la passion qui donne toute la puissance à ce récit parfois un peu longuet. Mais avec lui, on sent toute l'angoisse de cet homme désemparé et peu sûr de lui. D'une banale panne d'inspiration, il fait une montagne insurmontable et frôle la folie pour s'en sortir. Par moment, il peut paraître ridicule mais l'empathie se crée peu à peu et la tension monte à mesure que lui s'enfonce dans un gouffre sans fond.
Un livre assez difficile, surtout quand l'auteur s'appesantit sur les sciences du langage et les subtilités du travail de traducteur, mais qui, une fois qu'on est pris dans l'engrenage, s'avère passionnant et très prenant. Une pointe d'humour n'aurait pas nui dans cette ambiance torturée et paranoïaque mais on ne peut pas tout avoir.

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17 septembre 2013

A Mourava, petit village engourdi de Sibérie centrale, au bord de l'Ienissei, Vladimir Golovkine s'ennuie. Il pourrait boire comme les autres habitants du village mais il a sa dignité, il préfère rêver d'un ailleurs idyllique où tout serait possible. Le problème, c'est qu'il n'a pas suffisamment d'argent pour prendre le bateau et échapper à cette vie sans intérêt.

Refoulé par les hommes de bord lors d'une de ses tentatives d'embarquer, il tombe sur Colin Cherbaux, pianiste échoué là avec son instrument et un problème de main récalcitrante. Enchanté par cette improbable rencontre qui vient bouleverser sa routine, Vladimir invite le musicien français, rebaptisé Kolincherbo, à partager sa masure de célibataire. Au fil des jours, sous le regard envieux des voisins, Vladimir et son hôte se découvrent, s'apprivoisent, se confient et cherchent une solution au blocage de Colin, incapable de jouer l'intégralité du concerto n°2 de Rachmaninov.

Après avoir fait voyager un percolateur depuis l'Italie jusqu'au Costa Rica dans Le maître de café, Olivier BLEYS promène un piano dans la taïga sibérienne. Et c'est toujours aussi réjouissant! Dans ce conte moderne où se croisent des ours féroces, un astronaute hypnotiseur, une valise peu coopérative et de nombreuses bouteilles de vodka, il met face à face deux hommes différents qui vont s'aider l'un l'autre à surmonter les difficultés. Son écriture très visuelle nous transporte dans ce petit coin de Sibérie où tout est encore possible : l'amitié, le partage, les rêves.
Une lecture optimiste, souvent joyeuse, qui offre une parenthèse hors du temps, une respiration, un moment d'enchantement dans ce monde de brutes. A lire avec quelques godets de vodka...ou pas.

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16 septembre 2013

Qu'ils aient fui une histoire familiale difficile ou laissé derrière eux une épouse et un enfant aimants, qu'ils soient durs à cuire ou timides, conquérants ou timorés, grands et forts ou trahis par leur corps, ils ont tous quitté l'Italie pour intégrer le peloton Charlie envoyé en mission de protection en Afghanistan. Là-bas, loin de chez eux, ils sont confrontés à une réalité bien différente de tout ce qu'ils avaient imaginé. Confinés dans leur caserne, dans la poussière et la chaleur du désert, ils s'ennuient. La nature est hostile, la population l'est tout autant, les ennemis sont partout mais restent invisibles. La tension monte, les corps se révoltent. Une opération en extérieur leur permet de secouer la torpeur mais, quand la mission tourne au cauchemar, le peloton Charlie compte ses morts et chacun tente, à sa façon, de se remettre du drame.

Paolo GIORDANO qu'on avait pu trouver un peu froid dans sa description des amours adolescentes de La solitude des nombres premiers, fait ici le plein d'émotion et de sensibilité pour nous faire aimer ses personnages. Ces soldats qui nous deviennent familiers au fil des pages : Cerdena, la grande gueule insupportable, Ietri le puceau, Torsu l'éternel malade, Zampieri la belle blonde, Egitto le médecin, et tous les autres qui font partie de cette division Charlie, harcelée par la dysenterie, par la chaleur du désert, par les attaques de Talibans. Avec eux, on explore les motivations de ces hommes qui s'engagent dans des conflits armés, pour fuir, vivre l'aventure ou servir un idéal. Mais c'est la guerre moderne qu'ils vont découvrir. On ne combat pas d'homme à homme, on saute sur une mine. On est censé protéger la population, celle-la même qui met des bombes dans les mains des femmes et des enfants, dans la laine des moutons, pour tuer ceux qui pensent apporter la paix. Face aux dangers, les hommes font corps, ce corps humain avec ses failles, ses cicatrices indélébiles mais aussi son courage, sa rage de vivre.
Une plongée dans une guerre lointaine, plus forte que n'importe quel reportage du JT, un grand livre qui émeut et fait réfléchir.

Roman - traduit de l'allemand par Frédérique Laurent

Grasset

25,90
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13 septembre 2013

Lors d’une conversation sous forme de confidences, le narrateur raconte à sa femme l’époque où, fraîchement installé à Francfort, il eut l’occasion de fréquenter la bonne société de la ville grâce à une invitation de Titus Hopsten. Il devint alors un familier de la résidence de cette riche famille à Falkenstein et tomba éperdument amoureux de Phoebe, la sœur de Titus. Entre soirées mondaines, après-midis d’été au bord de la piscine, parties de luge en hiver, il faisait la connaissance de ceux qui comptent dans le monde de la finance et découvrait, derrière les apparences, le vrai visage de cette bourgeoisie décadente.

Bienvenue dans la bourgeoisie allemande où, comme ailleurs, derrière la splendeur se cachent perfidies, jalousies et coucheries entre amis. Avec une ironie certaine Martin MOSEBACH décrit un microcosme ou se côtoient aristocrates, héritiers falots, femmes effacées, tous réunis par le pouvoir et l'argent. Mais c'est dans les cocktails alcoolisés ou dans l'adultère qu'ils réussissent à noyer leur profond ennui d'une vie de pacotille.
Si cette chronique est parfois pesante comme le ciel au-dessus de Francfort, elle se laisse finalement lire sans déplaisir, grâce au cynisme et à l'humour de l'auteur. Ce n'est certes pas une lecture facile mais si on aime se promener parmi les nantis et découvrir leurs petits secrets pas toujours avouables, pourquoi pas?

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12 septembre 2013

Une boule en verre, de celles qu'on secoue pour voir tomber la neige sur les Pyramides ou la Tour Eiffel, de celles que Curtil laissait derrière lui quand il laissait en plan femme et enfants pour aller vivre sa vie, voilà ce que reçoit Carole chez elle à Saint-Etienne où elle vit seule depuis que ses filles sont parties et que son mari l'a quittée. Cette boule qui surgit de l'enfance est un signe de son père qui veut voir ses enfants au Val-des-seuls, sans préciser ni quand ni pourquoi. Carole n'a rien d'autre à faire que de retourner dans le village de montagne qui l'a vu grandir pour retrouver son frère Philippe et sa soeur Gaby. Eux sont restés au village.

Philippe y est garde-forestier et rêve de retrouver le chemin parcouru par Hannibal dans les Alpes tandis que Gaby vivote dans un mobilhome avec La Môme, une gamine abandonnée par sa mère et attend le retour de son homme, Ludo qui est en prison. Les jours passent, l'hiver arrive, Noël approche, Curtil ne se montre pas et Carole s'installe dans une routine apaisante parfois interrompue par les souvenirs du passé, les bons et les plus douloureux.

Un petit village de la Vanoise qui hésite à devenir une station de skis, des habitants un peu rugueux mais solidaires, une fratrie qui a été cabossée par la vie, une héroïne à la recherche d'elle-même...Claudie GALLAY sait mieux que personne planter un décor, créer une ambiance, transcrire les questionnements et les errements de ses personnages. Fidèle à son style et à ses thèmes de prédilection, elle signe ici un roman sensible et intimiste qui interroge sur la famille, les souvenirs d'enfance, la culpabilité. Grâce à une écriture moins distanciée, moins hachée qu'à son habitude, mais toujours aussi lancinante et soucieuse du moindre détail, le livre dégage un sentiment de force, de tendresse et d'humanité. Un grand roman qui emporte le lecteur dans son univers, faisant de lui un villageois parmi les autres, soucieux de l'avenir du Val-des-Seuls et de ses habitants. Une belle histoire, à lire absolument.