sandrine57

Lectrice compulsive d'une quarantaine d'années, mère au foyer.

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28 février 2014

Il n'y a pas de plaisir plus intense pour Guy Montag que de voir un livre au bout de son lance-flammes. Pompier d'élite, il a pour tâche de brûler les livres, devenus illégaux car possiblement subversifs. Montag jouit donc du plaisir d'incendier sans se poser de questions, sûr de son bon droit et adhérant totalement aux lois d'une société qui a banni l'écrit et la réflexion au profit du divertissement pur. C'est une voisine fraîchement installée dans son quartier qui va troubler sa sérénité. La jeune fille d'à peine 17 ans lui pose un simple question : "C'est vrai qu'autrefois les pompiers éteignaient le feu au lieu de l'allumer ?". Montag commence par rire de cette aberration, mais la graine du doute s'est plantée dans sa conscience.

Le soir quand il rentre chez lui, Clarisse semble l'attendre pour lui faire la conversation, évoquant les joies simples d'une promenade, la contemplation de la lune, parlant des livres qu'il brûle avec de moins en moins de conviction. Il lui semble qu'il communique plus et mieux avec cette inconnue qu'avec l'épouse qu'il retrouve chez lui plantée devant ses écrans géants. Quand elle disparaît soudainement, Montag perd pied et passe dans l'illégalité en cachant des livres.
D'une écriture presque froide, Ray Bradbury raconte une société futuriste où la lecture est interdite. Synonymes d'un savoir devenu inutile, les livres sont brûlés et leur détention formellement interdite. Ils ne sont pas nombreux ceux qui s'élèvent contre cette loi liberticide. D'autres divertissements bien plus grisants sont venus remplacés l'acte de lire. Dans chaque foyer, les écrans géants déversent des fictions interactives réduites à leur plus simple expression. Partie prenante dans ces scénarios minimaliste, l'individu se grise de bruit et de fureur, croit trouver là une famille. A l'extérieur non plus on ne flâne pas. Se promener est tout aussi répréhensible que lire, on préfère rouler sans limitation de vitesse, parcourir à toute allure des centaines de kilomètres pour se vider la tête. Aucun répit, jamais. Même la nuit, on peut rester connecté grâce à une prothèse auditive. Sans cesse sollicité, l'homme n'a plus le temps pour la réflexion, donc la critique.
Montag, pompier comme son père, aime incendier les bibliothèques. Pourtant, sans qu'il en soit lui-même conscient, il abrite un terreau contestataire. N'a-t-il pas caché un livre dans un conduit d'aération de sa maison ? Début de rébellion ou simple curiosité envers cet objet controversé dont il ignore tout ? Une rencontre va changer le cours de son existence, sa première rencontre avec un être humain doué de raison. En de brèves rencontres, la jeune Clarisse va lui faire entrevoir un autre monde possible, un monde où l'on prendrait le temps de discuter, d'apprendre, de s'émerveiller. Pour Montag, c'est une révélation. Désormais, il veut savoir, connaitre, trouver des réponses et surtout sauver les livres. Hors-la-loi, il fuit sa vie, sa femme, ses collègues et rejoint les hommes-livres, hommes-libres, qui apprennent par coeur le contenu des ouvrages les plus précieux pour en garder une trace malgré les autodafés.
Bien qu'écrit en 1953, Fahrenheit 451 n'a rien perdu de son côté visionnaire. Soixante ans après, les livres sont toujours en danger. C'est par la culture que les sociétés totalitaires asservissent les peuples. En brûlant des livres, en les censurant, les interdisant pour ne montrer que ce qui sert et justifie l'autorité. Les écrans ont bien envahi les foyers : les portables, ordinateurs, tablettes qui remplacent les vraies conversations, les programmes télévisés indigents qui ne nécessitent pas de réfléchir, les informations mises en scène comme des productions hollywoodiennes. La famille évoquée par Bradbury est étrangement proche des amis que l'on se fait sur les réseaux sociaux : des liens sans profondeur, interchangeables à l'infini.
Une lecture nécessaire, ode à la liberté de penser et bien sûr à la littérature qui en est l'un des vecteurs.

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24 février 2014

À cause des révélations d'un ami de la famille, la cérémonie de mariage d'Harry Clifton et Emma Barrington est interrompue. Sa filiation mise en doute, le jeune homme n'a d'autre choix que de quitter Bristol. Il s'engage dans la marine mais son navire est torpillé par les allemands. Harry en profite pour endosser l'identité de Tom Bradshaw et laisser Harry Clifton pour mort, pensant comme cela permettre à Emma de refaire sa vie. Mais dès son arrivée à New-York il est arrêté, Tom Bradshaw étant accusé d'avoir tué son frère. Grâce à l'influence de la famille, les charges sont abandonnées mais il reste coupable de désertion. Contre 1000 livres et la promesse d'une peine légère, Harry accepte de cacher sa véritable identité et de plaider coupable. Il est incarcéré pour 6 ans à la prison de Levenham.

De son côté, Emma est de retour à Bristol après avoir accouché du fils de Harry dans la propriété écossaise de la famille. En rendant visite à Maisie Clifton, celle qui aurait du être sa belle-mère, elle voit une lettre où elle croit reconnaître l'écriture de son fiancé. Persuadée que l'homme qu'elle aime n'a pas péri en mer, elle part pour l'Amérique, bien décidée à le retrouver et à l'épouser.
Pendant ce temps, la guerre fait rage et Giles Barrington, frère d'Emma et meilleur ami d'Harry, fait ses classes et se prépare à aller combattre les troupes de Rommel en Afrique du Nord.
Deuxième tome des aventures des familles Barrington et Clifton où les personnages traversent la deuxième guerre mondiale qui est finalement peu de chose en comparaison de leurs déboires familiaux et sentimentaux.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Jeffrey ARCHER ne fait pas dans la nuance. Les gentils sont beaux, courageux et intelligents pendant que les méchants sont vils, fourbes et stupides. Ses héros masculins respectent les liens d'amitié, ont le sens de l'honneur, combattent l'Allemagne nazie avec pour seules armes leur courage et leur intelligence supérieure, survivent à tous les tirs, bombes et autres mines quand autour d'eux les simples mortels tombent comme des mouches. Les femmes, elles, sont belles, volontaires, capables de diriger un hôtel sans savoir ni lire ni écrire ou de devenir une serveuse de haut vol alors même qu'elles ont été élevées dans la soie.
Heureusement, pour faire pendant à toutes ses qualités humaines, cette chaleureuse bonté d'âme, Jeffrey ARCHER nous a mijoté un duo de méchants particulièrement relevé, un aristocrate et un docker, pour faire bonne mesure. Ils ne sont qu'égoïsme, bassesse, lâcheté et vénalité. Le premier vole, escroque, dépense sans compter, profite d'une femme amoureuse puis l'abandonne sans état d'âme. Le deuxième, sans foi ni loi, boit son salaire, terrorise sa mère et trahit sa soeur. Et tous deux n'hésitent pas à user de violence contre quiconque se met en travers de leur route, sans distinction de sexe.
Voilà pour la psychologie. Pour le reste, ce qui se veut une "saga flamboyante" n'est qu'une succession de fadaises ridicules, souvent invraisemblables qui conduisent tout droit à un final au suspens intenable : Harry est-il un Clifton ou un Barrington ? En l'absence de tests ADN, c'est à la justice de trancher...
Cela ferait certainement un honnête téléfilm dans la série "Les tourments de l'amour", un après-midi sur M6 mais, à lire, c'est aussi indigeste qu'une production des éditions Harlequin.

mémoires d'un Breton du pays bigouden

Pocket

9,20
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21 février 2014

C'est un ami, qui a grandi à Pouldreuzic, qui m'a conseillé ce livre dont je connaissais l'existence surtout par le film que Claude Chabrol en a tiré. C'est donc à Pouldreuzic, petit village du pays bigouden, que Pierre-Jackez Hélias naît en 1914. Issu d'une famille d'ouvriers agricoles pauvres, il va grandir auprès de son grand-père et s'imprégner des traditions bretonnes. Plus tard, il partira pour Quimper et Rennes afin d'y faire ses études. Devenu professeur de lettres, il oeuvrera pour la pérennité de la culture bretonne.
Dans ce livre, largement autobiographique, il nous livre des chroniques de la vie dans son village depuis le début du XXème siècle. C'est une immersion totale dans la Bretagne de jadis. La vie était simple, dure mais honnête. le travail des champs se faisaient au rythme des saisons. Les relations sociales étaient codifiées par des règles très sérieuses.

La religion catholique était omniprésente, même chez "les rouges".
A travers de petites histoires, des anecdotes de la vie quotidienne, Hélias nous parle des coutumes, traditions et légendes qui ont forgé le peuple breton. Et puis il y a aussi la langue bretonne, celle qu'on apprend dès le berceau et qui est la seule, la vraie, celle qu'on utilise à la maison, dans la rue mais qui est interdite à l'école et dans la cour de récréation sous peine de punition.
Et puis il y a les meubles, l'armoire, souvent unique possession de la famille et qui contient la vaisselle précieuse, les photos, les papiers importants, le lit fermé où l'on s'enferme la nuit mais qui garde toujours une ouverture pour voir ce qui se passe dans la pièce commune.
Et puis, il y a les crêpes et galettes, réservées aux jours de fête et que l'on ne peut manger que lorsque toute la pâte a été utilisée, le pain au café qui attend bien au chaud sur un coin du poêle.
Et puis il y a la fameuse coiffe bigoudène que les filles portent dès leur plus jeune âge. C'est tout un art de la faire tenir bien droite sur la tête et de la garder bien blanche.
Et puis il y le temps qui passe, le siècle qui avance avec son lot de modernité. L'instruction se généralise. La république impose le français. Les jeunes quittent le village pour le lycée de Quimper. Les machines commencent à envahir les champs, remplaçant les hommes. Les touristes de la capitale viennent pour les plages qui jusque là étaient réservées à la pêche à pieds.
La fin d'une époque ? Oui parce qu'on ne lutte pas indéfiniment contre le temps, contre le modernisme. Mais non, parce que les bretons, fiers et orgueilleux, sauront encore une fois faire face à l'adversité en intégrant la modernité sans se départir de leurs traditions.
Un livre très riche, empreint de nostalgie mais parsemé de touches d'humour, écrit par un amoureux de sa région qui a vu s'éteindre une époque, celle de la vie simple, de la solidarité mais qui a réussi à éviter l'écueil du "c'était mieux avant".
Je l'ai beaucoup aimé et même sans être bretonne, j'y ai reconnu des manières de voir, de penser et d'agir, des faits, des us et coutumes que ma grand-mère alsacienne évoquait quand elle parlait de son enfance.

ou La Détestation

Actes Sud

20,00
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19 février 2014

Ils sont seuls désormais. Dans leur deux-pièces, leur "bateau ivre", leur refuge, le narrateur et l'Estropié sont seul depuis que Pedro a choisi de faire le grand saut depuis le douzième étage d'un immeuble, loin là-bas, dans un pays "couleur de richesses et de modernité". Du jeune homme bouillonnant de vitalité ne restent plus que le lit en fer dans un coin de la pièce et le chagrin mêlé de rage de ses deux compagnons de vie, restés à Haïti. Alors le narrateur, journaliste abonné à la rubrique nécrologique, entreprend d'écrire les trois colonnes que son rédacteur en chef lui a accordées et qui seront le dernier hommage à l'artiste disparu. Mais la vie, la fièvre, la peine, la générosité, la passion, la folie peuvent-elles être réduites à trois petites colonnes ?

Le "sale petit-bourgeois pleurnichard" qui avait choisi le quartier pauvre de la ville pour y construire sa vie, y oublier ses déchirures, déclamait des poèmes dans les ruelles, distribuait des pages de livres aux passantes, s'amourachait de femmes qui n'étaient pas pour lui, redonnait le sourire aux plus tristes sires, faisait l'acteur dans une troupe de théâtre, enchantait la vie de ceux qui l'entouraient. Parfois ses blessures les plus profondes prenaient le dessus sur la joie de vivre, il plongeait alors dans une mélancolie insondable, n'offrant que son silence à ses compagnons. Ceux-là même qui regrettent de n'avoir pas été à ses côtés pour empêcher son dernier plongeon. Le raconter, se raconter, et raconter l'Estropié, c'est ce qu'accomplit le narrateur dans cette longue lettre qu'il jette à la face de ce monde qui n'a pas su retenir Pedro.
Alors oui, c'est un joli texte, très poétique, un cri du coeur, écrit d'un jet, avec les tripes. Bien sûr, c'est une évocation très riche de la vie dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince. Oui bien sûr, les personnages sont touchants, du narrateur privé de ses parents par un stupide accident, à l'Estropié et sa terrible enfance auprès de Méchant, un père cruel et violent, en passant par Madame Armand, usurière obèse, qui croyait si fort aux contes de fée avant que la vie ne se charge de les lui faire oublier, sans oublier Pedro, l'écorché-vif, le clown triste, dont le suicide laisse ses amis sur le carreau.
Mais quelle purge, quel ennui ! Un récit looooong, sans respiration, truffé de citations poétiques et surtout répétitif. Toujours la même rengaine sur la radio étrangère qui annonce le suicide de Pedro depuis le poste de la voisine jalouse et de son mari routier, sur les brimades de Méchant, sur la colline si difficile à gravir, etc. C'est un style bien sûr, une manière d'imprégner le lecteur de toute la tristesse ressassée par le narrateur mais quand on y reste hermétique, on n'entre pas dans le récit, on ne s'attache pas à Pedro, l'égoïste qui n'a jamais pris le temps d'interroger ses amis sur leurs blessures, leurs chagrins, auto-centré sur ses "problèmes de riche".
Un livre est une rencontre, parfois elle n'a pas lieu. On se sent un peu minable de rester froid quand tant d'autres crient au génie et ont été touchés aux larmes mais c'est ainsi...

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16 février 2014

Pays basque, janvier 2009. La côte atlantique est secouée par la tempête Klaus et Iban Urtiz, journaliste à Larruma, assiste à la conférence de presse organisée par la famille Sasko qui s'inquiète de la disparition d'un des leurs. Jokin n'a plus donné signe de vie depuis trois semaines, volatilisé alors qu'il se rendait à Bordeaux pour un entretien d'embauche. La police ne semble pas pressée de retrouver ce militant indépendantiste fraîchement sorti des geôles espagnoles. Peu au fait des agissements de l'ETA et de sa guerre contre les autorités françaises et espagnoles, le jeune journaliste décide d'enquêter dans un monde où ses certitudes vont être mises à mal. Qui ment ? Qui sait ? Qui sont les victimes ? Qui sont les bourreaux ? Où est la Vérité ? Quand le terrorisme d’État répond aux revendications séparatistes, il n'y a plus ni gentils ni méchants.

Perdu en terre étrangère, sans en connaitre ni les codes ni la langue, Iban se heurte au silence, celui de la famille, des militants, mais aussi celui des autorités, de la presse, de ses collègues. Pourtant devant sa persévérance, certaines langues se délient, des rumeurs se font jour, des indices apparaissent mais Jokin reste introuvable. Enlevé avec la complicité de l’État comme l'affirme sa famille ? Traître à la cause comme voudrait le faire croire les autorités ? Iban s'accroche, veut savoir coûte que coûte, emporté dans un tourbillon de violence et de haine où tous les coups sont permis.
Faut-il, pour arrêter les voyous, employer des méthodes de voyou ? Faut-il répondre au terrorisme par la terreur ? Dans les années 80 l'Espagne répond oui à ces deux questions et crée les GAL, Groupes Antiterroristes de Libération, composés de barbouzes, policiers et repris de justice et chargés de faire la chasse à ETA en faisant feu de tout bois, pratiquant allègrement attentats, assassinats et enlèvements, aussi bien sur le sol espagnol que français. Emportés par leur élan -et leur impunité - les GAL sont allés plus loin que leur cahier des charges, si loin qu'ils ont été dissous en 1987 et leurs membres et commanditaires punis par la justice.
Quand commence l'enquête d'Iban Urtiz, les GAL ne sont plus qu'un lointain et mauvais souvenir. Pourtant, une rumeur persistante évoque de jeunes militants nationalistes enlevés, soumis à la question, torturés puis relâchés, selon les anciennes méthodes. Mais Jokin, lui, n'a pas refait surface. Le commando chargé de l'interroger est-il allé trop loin ? Mort sous leurs coups, Jokin, devenu un cadavre gênant, a-t-il été enterré quelque part dans le plus grand secret ? Officiellement, il n'existe aucun commando de ce genre la version qu'on voudrait vendre à la presse est celle d'un Joskin transportant une grosse somme d'argent pour l'organisation indépendantiste et décidant d'aller refaire sa vie ailleurs avec le magot. Le journaliste, encouragé par le regard de braise de la belle Eztia, sœur du disparu, remonte la piste des jeunes gens enlevés et des kidnappeurs. Sans le soutien de sa hiérarchie, moqué par le journaliste local, le très basque Marko Elizabe, menacé de mort et molesté par des inconnus cagoulés, Iban ne lâche pas prise et nage dans les eaux opaques du secret d’État et de la lutte clandestine, pensant naïvement pouvoir faire éclater la vérité.
Si Marin LEDUN tente de rester impartial dans ce roman inspiré de l'histoire vraie de l'étarra Jon Anza, on peut lui reprocher son quasi silence sur les exactions du mouvement séparatiste en se focalisant surtout sur la réponse ultra-violente de l'Espagne et la complicité silencieuse de la France. Quoi qu'il en soit, son roman est passionnant de bout en bout, même si la problématique basque reste un sujet épineux et souvent incompréhensible en dehors de ses frontières. A l'heure de l'union européenne et de la mondialisation, les velléités indépendantistes du groupe peuvent paraître d'un autre temps. D'ailleurs il a abandonné la lutte armée en 2011. Quelques zones d'ombre s'éclairent grâce à ce thriller politique sombre et angoissant qui veut rendre justice aux victimes d'un état bandit qui n'a rien à envier aux plus abjects des terroristes.