Un cheval entre dans un bar

David Grossman

Seuil

  • Conseillé par
    14 novembre 2017

    deuil

    Un des précédents romans de l’auteur 'Une femme fuyant l’annonce' m’était tombé des mains. Mais ce titre-ci, allègrement sponsorisé par France Culture à sa sortie en 2015 ne cessait de m’intriguer.

    Sur la scène d’un club miteux, dans la petite ville côtière de Netanya en Israël, le comique Dovalé G. distille ses plaisanteries salaces, interpelle le public, s’en fait le complice pour le martyriser l’instant d’après. Dans le fond de la salle, un homme qu’il a convié à son one man show (ils se sont connus à l’école), le juge Avishaï Lazar, écoute avec répugnance le délire verbal de l’humoriste.

    Mais peu à peu le discours part en vrille et se délite sous les yeux des spectateurs médusés. Car ce soir-là Dovalé met à nu la déchirure de son existence. La scène devient alors le théâtre de la vraie vie.

    Cela aurait pu être le récit d’un one man show comme il en existe tant. Sauf que l’on devine que quelque chose de particulier lie le spectateur convoqué et l’artiste.

    Difficile de parler de ce roman poignant où l’on assiste à l’émergence d’un souvenir marquant, celui d’un choix impossible au milieu de blagues réclamées par le public.

    Ce choix que doit faire le jeune Dovalé qui doit se rendre à l’enterrement d’un de ses parents, mais il ne sait pas s'il s’agit de sa mère ou de son père ; et bien évidemment, il a une préférence.

    Son récit de cette journée particulière s’entrecoupe de souvenirs : il était un enfant bizarre préférant marcher sur les mains pour ne pas récolter de claques de ses camarades. Car ses parents étaient un peu à part dans la cité.

    C’est également le récit d’une amitié ratée entre le spectateur et l’artiste dans leur jeunesse.

    Un roman fort, exigeant, au titre énigmatique car jamais on ne saura la chute de la blague, mais quelle importance ?

    L’image que je retiendrai :

    Celle du fauteuil rouge dans lequel se repose Dovalé pendant son spectacle.

    Une citation :

    « Il est écrit qu’Adam a connu Eve, pas qu’il l’avait comprise ». (p.102)

    http://alexmotamots.fr/un-cheval-entre-dans-un-bar-david-grossman/


  • Conseillé par
    3 octobre 2015

    A Netanya, petite ville côtière d'Israël, le comique Dovalé G. s'apprête à investir la scène d'un cabaret de seconde zone. Le public est venu pour passer du bon temps et le showman vieillissant veut leur en donner pour leur argent, même s'il a prévu un spectacle un peu différent de ses prestations habituelles. Dans la salle, invité exceptionnel, le juge à la retraite, Avishaï Lazar se demande ce qu'il fait là, lui qui vit en ermite depuis le décès de sa femme. Il ne sait pas encore que celui qu'il a connu alors qu'ils étaient adolescents lui réserve le récit de sa vie, une confession sans compromis, sans faux-semblants. Tour à tour drôle, cynique, insolent, agressif, Dovalé raconte un adolescent fluet, souffre-douleur de ses camarades, à qui, alors qu'il est loin de chez lui dans un camp d'entraînement militaire en plein désert, on annonce la mort de l'un de ses parents sans lui préciser lequel. Commence alors un long voyage jusqu'à Jérusalem durant lequel il prend des paris sur l'identité du défunt, en subissant les blagues que lui raconte son chauffeur.
    Tandis que le public siffle, hue, applaudit, verse une larme ou quitte la salle, sur scène se joue le drame d'un clown qui tombe le masque.

    Qu'il est dérangeant ce clown triste, cet homme qui met son âme à nu, se donne en spectacle. Quand le public quitte la salle, le lecteur reste, accroché, ferré par la violence et l'intensité de ce qui se joue sur scène. Derrière l'homme vieillissant, à bout de souffle, Dovalé nous laisse apercevoir les souffrances d'un enfant qui marchait sur les mains pour voir la vie autrement. Autrement que par le prisme de la Shoah dont le souvenir détruisait sa mère à petit feu, autrement que par la violence du père, autrement que par l'annonce d'une mort, un jour funeste, au fin fond du désert. Comme bien des comiques, Dovalé rit et fait rire pour ne pas pleurer... Et si le public déserte peu à peu la salle, c'est parce qu'il veut rire aussi et non pas être confronté à ses peurs, ses douleurs, ses bassesses, ses trahisons. Ceux qui restent ont le courage de regarder l'homme nu et de se regarder en face. Le juge est de ceux-là. Dovalé est le symbole des petites lâchetés qu'il avait enfouies dans sa mémoire et qui lui reviennent de plein fouet. C'est peut-être pour lui l'occasion de se remettre en question et, pourquoi pas, de se racheter.
    Un livre choc, coup de poing, tout en tension, avec derrière les éclats de l'acteur, cette lancinante question : qui est mort ? Partie intégrante du public, le lecteur n'échappe pas aux filets de Dovalé qui le tient en haleine, rageur, hargneux, pathétique aussi, et qui lui demande : ''Qu'auriez-vous vous fait à ma place ? Quelles auraient été, pour vous, les conséquences de cette angoissante incertitude ? Qui auriez-vous voulu mort de votre père ou de votre mère...?''
    Un cheval entre dans un bar et commande un whisky....Et on l'accompagne pour se remettre de cette lecture qui se lit d'une traite, qu'il FAUT lire d'une traite pour vivre en temps réel ce spectacle qui explore l'âme humaine. Un texte dérangeant, exigeant, puissant.

    Merci à la librairie Dialogues et au Club de lecteurs Dialogues croisés.