Une enfance de Jésus, Roman

J.M. Coetzee

Seuil

  • 4 septembre 2013

    David, Jésus et tant d'autres

    Le préalable de ce livre est terrible: comment peut-on imaginer faire oublier son passé à des gens que l'on accueille sur son territoire?
    C'est le sort réservé à David et Simon, réfugiés d'une terre qui ne sera jamais nommée.
    David, c'est l'enfant orphelin; Simon, l'adulte mais pas le père, c'est celui qui a choisi de le protéger, lui trouver une mère coûte que coûte.
    Pas simple quand il s'agit d'un enfant différent, précoce et têtu: celui-là rêve d'être un Don Quichotte et combattre des moulins à vent!
    Un livre singulier sur les rapports adultes/enfants, sur le traitement des réfugiés dans un système bureaucratique efficace, sur une société purgée de passion, sur la transmission...


  • Conseillé par
    28 août 2013

    Du grand Cotzee

    "Une enfance de Jésus" marquera sans doute la littérature du XXIè siècle comme l'"Emile" de Jean-Jacques Rousseau a marqué le XVIIIè siècle. Notre Emile moderne s'appelle David. Un prénom attribué à son arrivée au camp de Belstar. Du haut de ses 5 ans, David se pose beaucoup de questions.
    - "Pourquoi sommes nous ici?" demande-t-il à Simon, son protecteur.
    - "Nous sommes ici pour la même raison que tous les autres. On nous a donné une chance de vivre et nous avons accepté cette chance. C'est formidable de vivre. C'est ce qu'il y a de mieux au monde"

    - "Mais est-ce qu'on est obligés de vivre ici ?"
    - "Ici plutôt que où ? Il n'y a nulle part d'autre." (page 32).

    Pour sa part, Simon a plus de raisons que tous les autres d'être ici. Il s'est donné pour mission de trouver une mère pour l'enfant — sur le bateau qui les emmenait vers un monde meilleur, David a perdu une lettre expliquant sa filiation. Ce sera Inès, élue entre toutes les femmes. Comment l'a-t-il choisie, Simon ne se l'explique pas : "Je suis arrivé dans ce pays démuni de tout, hormis une conviction inébranlable : je reconnaîtrais la mère de l'enfant dès que je la verrais. Et dès l'instant ou j'ai posé les yeux sur Inès j'ai su que c'était elle." (page 119).
    Une autre mission attend Simon : celle d'éduquer David, assoiffé de réponses mais réfractaire à une scolarité "normale". S'ensuivent de réjouissantes digressions sur l'ordre et le chaos, le rôle du langage, la nature duale de l'être humain, le devenir d'une crotte ou la réalité des nombres. Pour David, "c'est comme si les nombres étaient des îles flottantes sur une mer de néant (…) et comme si, chaque fois, on lui demandait de fermer les yeux et de sauter dans le vide. Et si je tombe? Voilà ce qu'il se demande. Et si je tombe et continue à tomber pour toujours" (page 337). Sentiment d'insécurité diagnostiquent avec suffisance les experts. Un argument qui ne convainc pas Simon. "Et si nous avions tord et si c'était lui qui a raison. S'il n'y avait pas de pont entre 1 et 2, rien qu'un espace vide ? Et si nous, qui faisons le pas avec tant de confiance, étions en fait en train de tomber dans l'espace, sauf que nous ne le savons pas parce que nous tenons à garder notre bandeau sur les yeux ? Et si ce garçon était le seul d'entre nous avec des yeux pour voir ?" (page 337).

    "Une enfance de Jésus" tient à la fois du récit initiatique et du conte philosophique. Un roman d'une grande fraîcheur et d'une grande profondeur. Du grand Cotzee.