Tombola
EAN13
9782889072811
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Tombola

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Ce recueil de nouvelles est conçu comme on écoute un album : une même tonalité
pour raconter plusieurs héroïnes, toutes plutôt dégourdies et indociles, en
situation de déplacement donc d’un certain inconfort. Zita perdue dans le
brouillard dans les hauteurs de Gap, Espe seule face à un sapin tombé sur le
toit du chalet, Joanne contrainte de faire trois jours de vélo en compagnie
imprévue… Les moments de solitude que procurent marche, vélo ou autre
situation hors du train-train familier mettent en activité le flux intérieur.
Espe et les autres ont la pensée vive et l’oralité jouissive, une forme
d’autonomie amusée. Jérémie Gindre, en ethnologue de notre quotidien, donne un
aperçu des vies de ces femmes dans des moments qui vont provoquer chez elles
surprise, ravissement, peur ou contrariété, toujours en plein air, les
paysages déteignant sur les personnages. Joanne par exemple se fait surprendre
par un orage pendant son tour en vélo, ce sont des trombes d’eau, d’un coup
elle n’y voit goutte, roule sur un nid-de-poule, tombe, se blesse, son
portable n’a plus de batterie, elle se perd dans la forêt dont elle pensait
qu’elle lui servirait d’abri : « Joanne se dit que cette fois c’est le moment
d’avoir vraiment peur, et la peur vient aussitôt. Elle se répand en elle de
manière incontrôlable, comme une terreur nocturne. » Quand on marche, le flux
intérieur en roue libre carbure bien : « Qu’est-ce qu’elle est en train de
faire ? C’est débile. De fil en aiguille, elle s’est laissé aller à prendre
trop de risques. « De fil en aiguille ? » D’où est sortie cette expression ?
Elle ne l’emploie jamais. « Petit à petit », ou « au fur et à mesure ». Au fur
? C’est quoi un fur ? Ce n’est pas le moment, il faudrait qu’elle reprenne le
contrôle. La neige devient dure, ses pas provoquent un bruit cassant. Neige,
pluie, glace : le yoyo climatique du printemps a formé une croûte épaisse. En
plus, le brouillard a vitrifié la surface. Maintenant elle a peur : pas une
peur panique, mais un degré hyper élevé de concentration et une contrainte
dans la poitrine. » Le regard de chacune a quelque chose d’ingénu et de
merveilleusement observateur : « Le crépuscule est tombé. Zita regarde les
plantes — des buissons, des herbes, des arbres — dans le faisceau des phares,
et ce qu’elle se dit c’est : « Ces plantes ont l’air plus vivantes la nuit que
le jour. Je ne sais pas pourquoi. Elles ne font rien de spécial dans le noir,
mais c’est comme si je les surprenais en train de vivre. » » Espe doit gérer
le sapin tombé sur le toit. En héroïne ordinaire, elle hésite beaucoup, mais
elle est bien dégourdie: « Espe sait se servir d’une hache, d’une scie à main,
se débrouille avec la tronçonneuse mais ne se sent pas capable de libérer le
chalet de ce sapin. C’est trop dangereux. Il faudrait être au moins deux. Ce
serait vraiment idiot de se blesser. Tomber et s’assommer, se faire perforer
la cuisse par une branche. Agoniser là toute seule. Elle devrait d’abord aller
chercher de l’aide. Au village ou chez les plus proches voisins, qui ne sont
qu’à dix minutes de marche. Emprunter une grande échelle. Ou grimper le long
du tronc. Elle va fouiller la remise pour chercher la tronçonneuse, commencer
par ça. La mauvaise nouvelle c’est qu’il n’y a plus d’essence. Le vieux
jerrycan est presque vide, on entend juste quelques gouttes résonner en le
secouant. À nouveau, Espe pense à descendre au village. Demain ce sera férié.
Tout le monde sera occupé à faire des grillades, personne ne voudra l’aider.
Mais elle n’arrive pas à se décider. Sa pensée mouline, mouline, jusqu’à ce
qu’elle hésite à tout laisser tomber pour rentrer chez elle. ? Elle traverse
un bref épisode puéril, la possibilité de faire comme si elle n’avait rien vu,
fuir la scène de crime et tout nier après.” Toutes possèdent l’arme de
l’humour : « Aussitôt après l’avoir dite, Anna se demanda comment elle avait
pu prononcer une phrase pareille. Fallait-il « vraiment » plus d’espace pour
les dindes ? Bonjour, je m’appelle Anna, j’ai dix-neuf ans, et ma priorité
c’est de donner plus d’espace aux dindes. » Brad, vu par Cherline est « moulé
dans un T-shirt bleu pâle vraiment trop petit, son torse bodybuildé est
reconfiguré par étapes, méthodiquement. Ses muscles semblent si nombreux, si
gonflés, qu’il faut en déplacer trois pour en bouger un, à la façon d’un
Rubik’s Cube ». Les trouvailles sonores de Jérémie Gindre y sont pour quelque
chose. Cherline est en train de lire un passage à Brad : « Écoute ça : plus de
cinq mille personnes mortes en se jetant dans les chutes… nin-nin-nin… entre
vingt et trente suicides par an ! Sans compter tous les dingues qui ont tenté
de descendre ou de traverser les chutes. D’ailleurs il faudrait quelque chose
là-dessus dans nos vitrines non ? » Et le sens de l’observation : Un massif
peut être « griffé et déchiré, déserté, mal balisé, taillé par des torrents
brutaux et drapé d’éboulis. » Comme dans une tombola, les héroïnes sont dans
une situations où elles ne savent pas si elles vont gagner un lot, ni lequel :
« Le soir où Anna remporta dans une tombola un jambon à la place d’un
téléviseur quarante pouces, un homme qu’elle connaissait à peine lui cassa une
dent sans faire exprès.” La féminité de ces regards est comme un retour de
balle de Jérémie Gindre aux écrivaines géniales de nouvelles que sont Alice
Munro, Alison Lurie et Annie Proulx. Et comme pour ses précédents recueils
de nouvelles On a eu du mal (L’Olivier) et Trois réputations (Zoé), son
objectif est de former un ensemble « accordé », construit ici au rythme des
saisons. L’humour de Jérémie Gindre est subtil, à la fois concret, au pied de
la lettre et deuxième degré. Sa culture de grand amateur de cinéma et de
récits d’aventure, son expérience de la montagne et de la marche, sa curiosité
pour la géographie alimentent son esprit joueur. Il nous embarque avec lui
grâce à une forme de familiarité fluide qu’il instaure avec un naturel
jouissif. Il a publié On a eu du mal (L’Olivier 2013), Pas d’éclairs sans
tonnerre (Zoé 2017) et Trois réputations (Zoé 2020). En tant que plasticien,
il expose à Paris, à Berlin, en Suisse et à Turin.
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