L'Événement Anthropocène, La Terre, l'histoire et nous

Jean-Baptiste Fressoz, Christophe Bonneuil

Points

  • Conseillé par
    25 février 2020

    Nous avons fait fausse route...

    L’événement Anthropocène est écrit à quatre mains, par deux historiens qui ont toujours concilié regards historique et scientifique. Paru en 2013 et revu en 2016, devenu depuis une référence, il trace un chemin qui va d’hier à demain. L’anthropocène est l’ère dans laquelle nous sommes entrés depuis deux siècles et demi sans doute, « ce moment bref et exceptionnel de croissance industrielle », pendant lequel l’être humain a marqué durablement la planète ; le terme « événement », au sens de « ce qui est arrivé », signifie bien la « rupture irréversible qui est derrière nous ».
    On pourrait se lamenter et se laisser aller cyniquement à l’effondrement : le premier livre de Jean-Baptiste Fressoz s’intitulait d’ailleurs « L’Apocalypse joyeuse » … Mais comprendre, c’est le premier degré de l’action. Les auteurs s’appuient donc sur des données très nombreuses, sur une bibliographie ample et transdisciplinaire pour documenter cet anthropocène. Par exemple ceci : nous connaissons les méfaits de la colonisation, mais il n’est pas indifférent de savoir, chiffres à l’appui, que l’occident a littéralement vidé de leur substance les pays périphériques, déplaçant dès le XIXe siècle son empreinte écologique dans ces pays dominés.
    Mais surtout, en bons chercheurs, ils ont à cœur de discuter la notion, de la soumettre à de multiples regards. Ils proposent ainsi d’autres appellations : on pourra citer le « thanatocène », qui met en lumière la portée éminemment destructrice du complexe militaro-industriel ; ou le « capitalocène », qui retrace les liens étroits entre la recherche du profit et la dégradation du système-Terre.
    Enfin, ils mettent en garde contre les utilisations dévoyées de cette notion : un nouveau pouvoir technico-scientifique s’en emparerait pour imposer « un géogouvernement des savants » à une population anesthésiée. Aujourd’hui, le danger serait de croire au grand récit naïf d’une prise de conscience, après des siècles d’ignorance ; là encore, un regard historique montre que les luttes contre l’appropriation du monde ont toujours existé. La question n’est donc pas : pourquoi n'avons-nous pas agi ? mais : pourquoi et comment ont été étouffées les voix nombreuses qui nous alertaient ? Un livre politique, donc. Riche, construit, étayé, bien écrit et très clair pour peu qu’on s’en donne la peine : un livre qui ouvre les yeux.
    Frédéric