Apre coeur

Jenny Zhang

Philippe Picquier

  • Conseillé par
    24 mars 2019

    Elles s'appellent Christina, Stacey, Lucy ou Mande. Elles sont sept. Sept petites filles chinoises immigrées aux Etats-Unis, déracinées et réimplantées à New-York pour vivre le rêve américain. La Chine, c'était la misère, les traumatismes de la révolution culturelle, l'absence de liberté. Alors, armés de leur courage et d'une volonté de fer, leurs parents ont décidé de se faire une place au soleil dans cet El Dorado fantasmé, synonyme de richesse, de liberté, de réussite. Pour atteindre leur but, ils cumulent les emplois sous-payés, logent dans des taudis, se serrent la ceinture, font fi de leur dignité, de leur amour-propre, de leur équilibre, de leur bonheur. Et leurs enfants dans tout ça ? Ils apprennent une nouvelle langue, un nouveau mode de vie, ils affrontent le racisme et la violence ordinaires, ils essaient de toute leurs forces d'être à la hauteur des sacrifices consentis par leurs parents. Christina, Stacey, Lucy et les autres s'acharnent à grandir, à réussir, malgré la fange, les coups, les cris, les rêves trop grands de leurs parents.

    Loin du cliché de l'immigré chinois docile et discret, Jenny Zhang nous livre un roman percutant, éblouissant, un véritable coup de poing écrit dans une langue crue, violente, réaliste. Elle y raconte les douleurs, les chagrins, les angoisses de fillettes chinoises prises en étau entre leurs famille bancale et la difficile adaptation dans un monde inconnu et hostile. Des existences misérables décrites sans misérabilisme, des cris et des larmes contrebalancés par une immense soif de vivre. Quand le rêve américain se fracasse contre la dure réalité, il faut encore s'accrocher à l'espoir, réussir coûte que coûte, quitte à y laisser sa santé. Des appartements sordides infestés de punaises, des voitures brinquebalantes, des vêtements d'occasion...juste des épreuves à surmonter avant la gloire. Les fillettes regardent leurs parents s'épuiser, se disputer, se reprocher l'un à l'autre leurs déboires. Elles perçoivent leurs peurs, leurs souffrances. Et doivent vivre avec l'étouffant fardeau des espoirs qu'ils ont mis en elles. Mais les violences familiales, les violences scolaires, la violence permanente d'un pays où il faut se battre pour exister, tout cela n'est rien à côté de l'amour qui affleure à chaque page. Un amour ultra-protecteur, étouffant, irrespirable mais le fondement de ces existences vouées à réussir.
    Un roman plein de bruit et de fureur, dur et impitoyable, traversé pourtant de moments de grâce, de partage, d'amour. Christina, Stacey et les autres resteront longtemps dans la tête et le cœur d'un lecteur abasourdi par leur capacité à s'adapter, à se battre, à se réinventer. Une très belle découverte.